Texte en ligne : J'ai perdu mon mouchoir

9/05/2011 Alice 5 Comments



Comme vous le savez, ou pas peut-être, Blogger me permet de savoir les mots tapés dans le moteur de recherche pour atterrir sur mon blog.

Il y a parfois des surprises. Et j’ai décidé d’écrire de courts textes lorsque ces mots clés de recherche m’inspireront.
Juste avant les vacances, j’ai eu la surprise de trouver comme source de trafic la phrase : J’ai perdu mon mouchoir.

Donc en espérant, que celui ou celle qui a tapé cela l’a retrouvé, et pour lui faire un petit clin d'oeil d’avoir pu entrer dans mon blog pour une histoire de mouchoir perdu, j’ai écrit une petite nouvelle sur le sujet.

Voilà, ce que ça donne :



J’ai perdu mon mouchoir



J’ai perdu mon mouchoir, la poche de mon manteau est vide à présent. Je ne le retrouverai pas. Il y a encore quelques heures, il n’avait aucune valeur. Avant que je n’entre dans le bosquet, tout au fond de mon jardin.
C’est assez troublant la façon dont les objets acquièrent une histoire. Ce qui n’était qu’un carré, trois épaisseurs, doux et solide, devient pour moi un regret. Celui de n’y avoir pas prêté attention, alors qu’une fée s’y était mouchée.

Aujourd’hui, nous sommes dimanche. Je dois bien vite retourner chez moi. Dans mes mains, un panier accueille la vingtaine de chanterelles que j’ai cueillies sous la mousse, une poignée de ciboulette et un chou mangé par une limace. Dans deux heures, toute la famille s’attablera autour de mon succulent lapin aux girolles. Je n’aurais pas le temps de proposer un dessert. L’un ou l’autre de mes enfants apportera bien un gâteau alourdi de crème au beurre.

Je repense à la fée et à son chagrin. Je ne sais pas si j’ai réellement su la consoler. Peut-être est-ce elle qui a gardé ce mouchoir. J’espère qu’elle ne s’en servira pas pour me faire du mal. Ce serait injuste. Notre rencontre s’est faite en douceur. Alors que je dégageais un dernier champignon orangé de la mousse, je l’avais trouvé là, sur le sol, prostrée. Je n’avais pas eu d’autres réflexes que de la saluer en murmurant de peur de l’effrayer.

— Bonjour.

Elle n’avait pas répondu. Je me suis mordu la lèvre puis aie tendue mes mains en coupoles pour la saisir. Je ne voulais pas abîmer ses ailes par maladresse. Une fois contre ma peau, elle s’était arrêtée de pleurer.

— Laissez-moi.

Je soupirais. C’était un bon conseil, mais à présent que je la tenais, je ne pouvais plus reculer.

— Pourquoi pleurez-vous ?

— Allez-vous-en.

— Je ne peux pas. Tu es triste et je voudrais te consoler.

Elle avait écarté de son visage de longues mèches rousses et bouclées. Avait planté ses yeux de prune dans les miens.

— Et pourquoi ça ?

— Parce que je n’aime pas que les personnes soient tristes.

La fée s’accroupit et se gratta la plante des pieds. Elle me semblait tellement jeune.

— Et moi, je n’aime pas qu’on se mêle de mes affaires.

Je souris devant son air boudeur.

— Alors, va-t’en.

Elle hoqueta, une grosse larme de nourrisson vint perler au coin de son œil et coula jusqu’à sa bouche.

— J’espérais que vous insisteriez un peu plus. Après tout, vous ne devez pas en croiser tous les jours des fées.

— Je croyais que tu ne voulais pas que je me mêle de tes affaires.

— Oui, mais maintenant c’est trop tard.

Sur ce, elle se remit à pleurer, essuyant la morve qui coulait de son nez du revers du poignet. C’est là que j’avais sorti le mouchoir.

— Tiens ! Je te le prête. Attention, il est mentholé.

Sans hésiter, elle s’en était saisie. J’avais perçu son mouvement de recul devant la forte odeur du bout de papier. Puis elle se moucha bruyamment.

— Alors pourquoi pleures-tu ?

— Parce que rien ne sera jamais plus pareil.

— C’est ainsi à chaque seconde de chaque minute. Aucune ne ressemble à l’autre.

— Je le sais bien. Mais là c’est plus grave.

— Ah ?

— Je viens de manger ma dernière framboise.

Je fronçais les sourcils, mais me reprit vite. Cela semblait d’une grande importance, même si je n’y comprenais pas grand-chose.

— Ah.

Elle leva ses yeux vers moi et sa tristesse s’empara de moi.

— Aujourd’hui je perds un ami que je ne reverrais plus jamais.

— Je comprends, ce n’est jamais facile, mais il sera toujours présent dans ton cœur.

— Paroles de bonne femme ! Comme si un souvenir pouvait suffire.

— Je ne cherche qu’à te consoler.

— Ah oui, très bien. Console-moi de mes matinées à me dorer la peau sur les héliotropes. Des compétitions de looping avec mes amis hannetons. Aujourd’hui, je ne sens plus que le parfum des tilleuls, les noisettes sont presque mûres tout cela est fini.

— L’an prochain, cela recommencera. L’été revient toujours.

— Mais pas celui-là. Ce ne sera qu’un lointain cousin. Tous mes plaisirs s’affadiront, je devrais en trouver d’autres qui s’affadiront eux aussi, jusqu'à ce que je n’ai plus le courage d’en chercher d’autres.

— L’automne arrive. Tu verras c’est beau aussi.

— Lui aussi prendra fin, alors à quoi bon.

— Tu pourrais apprendre aux autres ce que tu as aimé.

— Et mon bonheur à moi ?

— Tu le trouveras dans leurs yeux.

— C’est très cruel.

— C’est la vie.

Elle s’était alors relevée, reniflant une dernière fois. Un sourire fendit son beau visage.

— Je suis encore triste, mais tu as bien réussi à me consoler. As-tu ressenti les mêmes choses toi aussi ?

— Moi je ne suis qu’une humaine. On ne fait pas attention sur l’instant à tout ce que l’on perd. Mais oui, je ressens cela aussi.

— Qu’est-ce que tu regrettes le plus ?

— La première fois où j’ai goûté à la recette de ma grand-mère. Le lapin aux girolles.

— Oh ! Je vois. Et qu’as-tu fait pour y remédier ?

— J’en cuisine chaque dimanche, pour mes enfants, et mes petits-enfants.

— Tu les as prévenus ?

— De quoi ?

— De toute la tristesse qu’ils allaient avoir quand tu ne serais plus là pour leur en cuisiner ?

— Non, je me suis contentée de leur donner à chacun la recette.

— C’est une bonne solution.

— D’ailleurs, il faut vraiment que j’y aille. Sinon, je n’aurais pas le temps de le leur cuisiner aujourd’hui.

— Merci à toi.

— Ne désespère pas trop.

— Promis.

Je suis alors rentrée. À l’instant, le lapin mijote dans la cocotte que je viens de glisser dans le four. Au salon, les enfants sirotent un verre de crémant en surveillant leur progéniture qui se gave de biscuits salés. Je repense à ma grand-mère, à mon enfance, à mon premier repas du dimanche. Au mouchoir aussi.

Le four sonne assez vite, tout le monde se met à table avant que je n’en aie donné l’ordre. Ma fille aînée vient m’aider à apporter tous les plats. Je soulève le couvercle de la cocotte. L’odeur est fabuleuse. Je sers tout le monde puis commence à manger. Lorsque je relève la tête, j’aperçois le jardin par la fenêtre. Quelques feuilles viennent déjà recouvrir la pelouse. Au moment de me concentrer sur la question que mon gendre vient de me poser, un mouvement au bas de la vitre attire mon attention. Elle est là, la petite fée. Elle s’est taillé une robe dans mon mouchoir. On dirait une petite mariée. Elle me sourit et souffle sur la vitre. Un nuage de buée se forme, elle y dessine un rond puis deux points à l’intérieur. Pour finir, elle fend le tout d’une grande virgule en guise de sourire, puis sans un regard s’envole pour son premier automne.

5 commentaires:

  1. Adorable petit conte, un chouilla nostalgique <3

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  2. C'est une amie qui m'a fait découvrir ta nouvelle.
    J'adore la poésie qui si trouve ainsi que la morale sur le temps qui passe et les moments de bonheurs passé. J'en ai aussi quelques uns en mémoire. Cela fait partie de ce qui permet d'avoir de la force lors d'épreuves.
    J'essaye, oi aussi, de les revivre, avec + ou moins de succès... Mais c'est aussi vrai que d'autres moments parfaits sont à venir au détour d'un bosquet, d'une rue, d'un plat, d'une rencontre...
    Je te remercie pour avoir si bien expliqué ce processus.

    black59

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  3. Merci infiniment à vous deux ! <3

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  4. J'ai ressenti une forte émotion à la lecture de ce texte. Une émotion que je ne suis pas sûr de comprendre.

    Elle ne venait pas forcément des mots en eux-mêmes, c'était étrange.

    Bonne journée!

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  5. Je crois qu'il ne faut pas toujours chercher à comprendre ^^

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