Savoir et se taire
Et lorsque, comme moi, on a la chance d'avoir un compagnon qui nous pousse à aller toujours plus loin dans cette réflexion, on finit par écrire un article sur son blog. (Quoique le compagnon puisse être "remplacé" par une très bonne copine, ou un animal familier ou tout simplement une plante verte extrêmement perspicace, chacun son truc.)
Ainsi, si il y a une chose sur laquelle je m'appuie le plus possible pour écrire des textes pas trop pourris, c'est bien la cohérence d'univers. Il m'arrive donc de passer beaucoup de temps à chercher les détails historiques ou scientifiques concernant l'univers du texte dans lequel je suis plongée.
Et comme je lis aussi beaucoup de textes - déjà publiés ou tout simplement en maturation - il m'arrive souvent de m'émerveiller ou de grincer des dents sur la cohérence des univers qui me sont proposés. D'autre fois, par contre, l'univers est tellement documenté qu'il ne me laisse aucune place en tant que lectrice.
J'ai longtemps cherché la différence entre les deux types de texte, jusqu'à ce que j'en discute avec ma moitié et qu'il trouve la formule miracle :
"Il y a le "Show, don't tell" mais aussi le "Know don't tell"
Cette idée de "Know, don't tell" je l'utilise depuis longtemps. Quand il est question pour moi d'écrire - comme en ce moment - un texte ayant pour cadre la première guerre mondiale, je dois faire face à mon manque de culture concernant le sujet.
Je vais donc, tout naturellement, me renseigner sur une multitude de sites à propos de la vie du poilu, de son paquetage et de l'arme qu'il utilise.
Mais comme mon but n'est pas d'écrire un exposé mais, bel et bien, une histoire, je ne dois pas non plus partir sur les mesures exactes d'une tranchée et sur la composition chimique exacte de la boue (sauf dans un certain cadre peut-être, et encore.)
Le but est surtout de faire connaissance avec le contexte dans lequel se situera mon texte, de m'en imprégner et d'ensuite fermer mes pages internet sans prendre de notes.
Parce que, et c'est là qu'intervient le "know don't tell", si j'ai lu et que je sais, maintenant, de quoi se constituait une journée type pour un poilu, ces informations ne sont finalement que secondaires.
Ce qui compte c'est que je sache, moi en tant qu'auteur, où je me situe mais pas que le lecteur est l'impression, en me lisant, d'ouvrir son manuel d'histoire de 4ème.
Alors, à ce moment-là, me direz-vous, à quoi bon savoir si tu ne t'en sers pas ? Le fait est que si je ne me sers des informations exactes, elles vont pourtant être présentes pour animer mon texte et enrichir mon univers.
Exemple ?
Ce matin j'ai vu une photo d'une lanterne de tranchée avec une explication détaillée de son fonctionnement. Cela, maintenant, je le sais.
Est-ce que je vais rester dans le scolaire et décider que le lecteur doit, lui aussi, tout savoir ? Ou est-ce que je vais décider de ne conserver que ce qui m'a interpellé dans cette lanterne ? C'est-à-dire, sa forme triangulaire ?
Est-ce qu'il sera plus enrichissant pour mon univers d'expliquer comment on plaçait la mèche, puis l'huile de combustion dedans que de simplement évoquer sa forme caractéristique ?
Ceci, toutefois n'est qu'un détail qui interviendra au niveau descriptif. Là, où le "Know don't tell" devient plus profond est quand il touche carrément à l'attitude de ses personnages devant une situation donnée.
Pour cela je vais donner un autre exemple. Alors que je réfléchissais sur l'univers d'un de mes projets de roman (où l'on retrouve des fées, des gargouilles et une cathédrale) mon compagnon m'a posé une question super incongrue, que j'ai tout d'abord jugée comme étant totalement hors-sujet :
"Et si les militaires se rendent compte de l'existence de tes fées que va-t-il se passer ?"
Attendu que mes fées ne côtoient mes humains que d'une façon plutôt étrange, cette interrogation m'a tout d'abord semblé totalement inutile.
J'ai donc haussé les épaules, et continué d'écrire. Jusqu'à ce que je me rende compte qu'ayant été posée, cette question avait finalement solidifié la cohérence de mon univers.
Certes, il n'est jamais question de militaires humains dans mon roman. Et mes fées ne sont pas bien au courant de ce que peut être un militaire humain. N'empêche que si elles se faisaient découvrir, elles se retrouveraient devant des problématiques auquel leur "dieu" (c'est-à-dire moi, je les ai créé non ?) n'a même pas réfléchi !
Il est bien possible que tout leur univers s'effondre. Et si leur "dieu" n'a pas réfléchi à ces éventualités, comment peut-il être certain de réellement contrôler leur destin au mieux ?
Ainsi j'ai fini par décider de savoir ce qu'il arriverait si les militaires découvraient l'existence de mes fées. Est-ce que je l'évoque ne serait-ce qu'une fois ? Jamais : ce n'est pas le sujet de mon roman. Toutefois, le fait de le savoir m'aide à solidifier la cohérence de mon univers.
Est-ce qu'il est important que vos lecteurs sachent dans quel tissu la chemise de votre héros a été fabriquée ? Non, pas forcement.
Est-ce que, vous, vous devez le savoir ? Pour moi, la réponse est oui.
"Est-ce que, vous, vous devez le savoir ? Pour moi, la réponse est oui. »
RépondreSupprimerComplètement d’accord. Dans ma trilogie, j’ai passé des années à me prendre la tête sur l’univers, avec bien des éléments qui n’apparaissent pas dans les romans. Ce qui est dingue, c’est que j’avais besoin de résoudre certains problèmes « invisibles », d’avoir toutes les clefs. Laisser des questions en suspens me bloquait dans mon écriture !